Tout miser sur la flemme : le business bien juteux des box cadeaux
Tout le monde a déjà reçu ou offert une box cadeau proposant un voyage ou une expérience (spa, restaurant, saut en parachute…). Depuis quelques années, le concept fait fureur. Mais pour autant, cette box a-t-elle réellement été utilisée ? Car si c’est un cadeau tout à fait réjouissant qui fait son petit effet sur le moment, il n’est pas rare qu’il soit laissé dans un coin pour ne jamais vraiment être utilisé, souvent par pure flemme.
Et c’est là tout le business model assez déroutant (mais bien juteux) des box cadeaux, qui repose en grande partie sur le fait que le consommateur n’utilise jamais le produit vendu. Zoom sur ce modèle économique qui ne concerne d’ailleurs pas seulement le marché des box.
Le boom des box
C’est en 2003 que Pierre-Edouard Stérin, fondateur de Smartbox, amène le concept des « coffrets cadeaux d’expérience » (déjà présent aux Pays-Bas et en Belgique) en France. Hôtels, restaurants, spas… Il démarche de nombreux partenaires qui pourraient potentiellement proposer leur offre dans une box, tout en sollicitant des distributeurs pour les vendre. Si la nouveauté du concept et les difficultés logistiques apparentes refroidissent bon nombre de prospects les premiers temps, le succès est très vite au rendez-vous.
À ce moment-là, le business model de l’entreprise est simple : Smartbox se rémunère sur les rabais qu’elle négocie sur l’offre de ses partenaires et qui sont généralement compris entre 25% et 30% du prix de base. En échange, les partenaires bénéficient d’un élargissement de leur clientèle.
À quoi est dûe la réussite de ce business ? D’abord, au côté pratique des box, qui permettent d’offrir facilement à des proches des séjours ou des dîners, tout en laissant libre le choix du lieu et de la date ; ainsi que la nouveauté de l’offre, le marché était entièrement à conquérir.
Entre 2007 et 2010, Smartbox s’implante dans 18 pays différents. En 2012, son chiffre d’affaires s’élève déjà à 140 millions d’euros rien qu’en France (pour 1,8 million de coffrets vendus), et à 400 millions d’euros dans le monde. Aujourd’hui, Smartbox capte toujours 60% du marché des coffrets cadeaux et affiche 500 millions d’euros de chiffre d’affaires.
L’autre leader du marché en France est Wonderbox, créé fin 2004. Après des débuts artisanaux et des premiers résultats timides, la société connaît elle aussi un pic de croissance en 2007, vendant plus de 200 000 coffrets pour un résultat annuel de 25 millions d’euros.
Mais au sommet de leur croissance, ces géants des box cadeaux ont opéré un changement a priori intriguant dans leur business model, dans l’optique de multiplier leurs bénéfices : ils ont particulièrement mis en avant les coffrets cadeaux dont les taux d’inutilisation étaient les plus élevés…
Tout miser sur la flemme
C’est avec l’arrivée de Denis Wathier à la tête de Smartbox début 2012 qu’une réorientation stratégique est opérée. Certains salariés de l’entreprise expliquent alors que pour optimiser ses marges, l’entreprise a dû délaisser quelque peu la qualité de ses produits pour faire la promotion des coffrets les plus rentables et les moins utilisés in fine par les consommateurs. Forcément, lorsque l’expérience proposée au sein de la box (dîner, séjour, spa…) n’a finalement jamais lieu, l’opération est bien plus lucrative.
Un business modèle qui n’a finalement rien de nouveau. Qui ne s’est jamais abonné à la salle de sport lors des bonnes résolutions de début d’année, pour finalement s’y rendre une ou deux fois au cours des mois suivants ?
Tout le modèle économique des salles de sport (de milieu de gamme) est fondé sur l’absentéisme de la plupart des abonnés. Sur 5 nouveaux abonnés au mois de janvier, 1 seul fréquentera encore la salle régulièrement en septembre. En proposant des abonnements d’un an à leurs clients, les gérants réalisent du chiffre d’affaires additionnel sans pour autant embouteiller leurs salles. Et de leur côté, les clients sont victimes, non seulement de la flemme, mais aussi d’un excès d’optimisme qui leur fait largement surestimer le nombre de fois où ils iront réellement s’entraîner… Ah, les bonnes résolutions !
Un modèle similaire est utilisé par de nombreuses compagnies d’assurances et par certains établissements bancaires. Selon l’association de consommateurs UFC Que choisir, les Français se laissent facilement séduire par des assurances superflues, voire totalement inutiles. Là encore, les vendeurs jouent sur les biais psychologiques de leurs clients qui préfèrent se prémunir contre un risque parfois dérisoire. Tout leur business model repose alors sur le très faible taux de sinistre à assurer réellement, par rapport au nombre important de contrats signés.
Miser sur le fait que les clients n’utiliseront pas les produits et services vendus, tout en gardant l’espoir de développer une entreprise prospère… Cela semble totalement paradoxal a priori. C’est pourtant le business modèle qui se cache derrière des entreprises à succès et des marchés en pleine expansion ! Mieux vaut donc connaître ces modèles économiques et les biais psychologiques qu’ils sollicitent chez nous, pour éviter autant que possible les dépenses inutiles.