C’est une bonne situation, ça, Française des Jeux ?
Scribe, chirurgien, gamer, banquier, acteur porno, influenceur finance… Autant de pratiques et de professionnels que d’idées reçues sur les salaires de ces industries. Alors, qui gagne bien ? Combien ? Comment ? BLING Media tente de démêler le vrai du faux. Deux fois par mois, focus sur une « bonne situation ».
Que celui qui n’a jamais gratté ou tenté (même pour le fun) une grille de Loto lève la main ! Loto, Parions Sport, le Black Jack à gratter… Tous ces jeux, dans notre quotidien depuis des décennies, sont diffusés par la célèbre Française des Jeux (FDJ). Et si les sommes à gagner paraissent colossales (plusieurs millions d’euros dans le cas du Loto), celles misées par les joueurs sont encore plus folles ! Alors, en fin de compte, combien elle gagne la Française des Jeux ?
Monopole légal et biais psychologique
À l’origine, la Loterie nationale française est créée en 1933. Elle ne deviendra la Française des Jeux qu’à partir de 1991, pour être finalement renommée FDJ en 2009. Premier opérateur de jeux d’argent et de hasard en France, deuxième à l’échelle européenne et quatrième à l’échelle mondiale, la FDJ pèse dans le game. Et sa privatisation puis son introduction en bourse réussie en 2019 n’a d’ailleurs fait que renforcer sa croissance.
Si plusieurs facteurs expliquent la réussite de la FDJ, sa situation de monopole légal est sans doute l’un des principaux. La création de la société s’est faite sous le contrôle du Ministère du Budget, qui lui a confié au passage le monopole absolu des jeux de loterie et des paris sportifs en France. Si ces derniers ont été ouverts à la concurrence depuis, les années précédentes ont clairement permis à la FDJ d’asseoir sa position sur le marché.
D’autant plus que l’activité globale de la société se compose pour 80% de la loterie (qui comprend à la fois les jeux de tirage comme le Loto, et les jeux de grattage comme Cash) et pour seulement 20% des paris sportifs.
Mais la FDJ dégage-t-elle beaucoup de bénéfices ? Sur la totalité des mises qu’elle capte chaque année, environ 70% retournent aux joueurs sous forme de gains pour les jeux suivants, 20% vont à l’État, et 10% forment le produit net capté par la FDJ. Un produit pas si net que ça en réalité, puisqu’il se compose lui-même des commissions touchées par les points de vente, de diverses charges et, finalement, de la marge nette de la FDJ.
Ainsi, si vous vous posiez la question : « D’où vient l’argent des cagnottes du Loto ? », la réponse est tout simplement : « Des joueurs eux-mêmes ! ».
Concernant les fameux points de vente, ils sont pour beaucoup dans le succès de la FDJ, dont ils bénéficient eux aussi largement. Avec plus de 30 000 points de vente en France (La Poste, Casino, PMU…), dont la plupart travaillent en collaboration avec la Française des Jeux depuis plus de 20 ans, 90% des Français vivent aujourd’hui à moins de 10 minutes d’un point de vente FDJ !
Les buralistes, par exemple, touchent une commission d’environ 5% sur tous les jeux vendus. Des produits bien plus rentables que la presse papier : entre 2004 et 2010, la commission nette des buralistes était déjà passée de 290 à 376 millions d’euros par an, une augmentation de +30%. Point de vente de la FDJ, une plutôt bonne situation, donc !
Mais ce sont aussi les joueurs eux-mêmes qui contribuent largement au succès continu de la Française des Jeux depuis sa création. Toujours plus nombreux et plus fidèles, on en vient même à se demander ce qui pousse certains à jouer si régulièrement.
Selon les psychologues, un biais psychologique puissant serait à l’œuvre : celui de l’optimisme irréaliste. Lorsqu’un événement est perçu comme très positif (gagner des millions au Loto par exemple), nous aurions tendance à surestimer largement la probabilité qu’il advienne. Ajoutez à cela un marketing et une publicité avisés (« 100 % des gagnants ont tenté leur chance »), et beaucoup se laissent logiquement tenter…
« Le casino gagne toujours »
Si l’on se penche un peu sur les chiffres, on ne doute pas longtemps qu’être la FDJ soit une bonne situation ! Sur l’année 2021, la société a capté pas moins de 18,8 milliards d’euros de mises de la part des joueurs (en augmentation à la fois sur les jeux de tirage, les jeux à gratter et les paris sportifs), pour un chiffre d’affaires final de près de 2,2 milliards d’euros et un taux de marge d’environ 22%.
Côté mises, elles sont en progression constante depuis 25 ans, sauf pour les jeux de tirage où elles sont relativement stables, mais restent très importantes.
L’autre grand bénéficiaire de l’activité de la FDJ, c’est évidemment l’État français, qui est l’actionnaire majoritaire de la société (il détient plus de 20% de ses parts depuis la privatisation de 2019). Ce dernier dispose avec la Française des Jeux d’une triple source de revenus : il capte à la fois des dividendes (93,6 millions d’euros en 2018), des taxes sur les mises et sur les gains des joueurs (3,5 milliards d’euros en 2018) et, depuis la loi Pacte de 2019, il capte également certains gains non réclamés qui autrefois revenaient à la FDJ (70,5 millions d’euros ainsi récupérés en 2020 !).
Les joueurs, eux, sont les grands perdants dans cette affaire. Selon une étude publiée par l’Insee en 2014, les Français qui s’adonnent aux jeux d’argent perdent en moyenne 400 euros chaque année.
Elle jouit d’une situation de monopole offerte par l’État français lui-même et peut compter sur des millions de joueurs toujours au rendez-vous depuis des années… Pas de doute : la FDJ est une affaire qui tourne (très) bien, et qui fait gagner à ses actionnaires (au premier rang desquelles se trouve l’État lui-même) de très belles sommes chaque année ! Une bonne situation donc, sauf pour les joueurs qui, comme au casino, sont les seuls à perdre (presque) toujours à la fin…