Pourquoi la Chine mise autant sur l’Afrique ?
Ce n’est plus un secret pour personne puisque les médias en parlent régulièrement depuis des années : la Chine investit à fond en Afrique.
Entre 1995 et 2017, les échanges commerciaux entre l’Empire du Milieu et le continent africain sont passés de 3… À 143 milliards de dollars ! Avec un record de 260 milliards d’euros en 2022.
Dès 2009, les Chinois ont surpassé les États-Unis en devenant les premiers partenaires commerciaux du continent.
Mais alors, pourquoi la Chine mise-elle autant sur l’Afrique ? Dans quel but prêtent-ils autant d’argent aux États africains ? Comme souvent lorsque l’on parle d’économie, nous allons voir que la philanthropie n’est pas le premier moteur des échanges…
Décryptons les origines et les causes des relations commerciales privilégiées entre la Chine et l’Afrique depuis ces dernières années.
Aux origines : la coopération face à l’Occident
Nous sommes en 1949 lorsque le parti communiste chinois (toujours au pouvoir à l’heure actuelle) instaure la République populaire de Chine. Depuis cette époque et un temps record, l’Empire du Milieu est devenu la deuxième puissance mondiale, et ne compte pas s’arrêter là !
Mais attardons-nous un peu sur le passé. En 1955 à Bandung, en Indonésie, pour être précis.
C’est là que se tient un événement historique à l’époque : la réunion de 29 chefs d’État africains et asiatiques.
Le point commun entre tous les pays alors représentés ? Ils ont subi la colonisation au cours de leurs histoires récentes. Liés par ce douloureux passé commun, ces États souhaitent désormais coopérer afin de s’ériger comme un troisième bloc face à l’Occident et l’URSS. C’est le bloc que l’on a appelé le « Tiers-Monde ».
Au cours des années suivantes, la Chine va donc initier un vaste plan de coopération avec l’Afrique.
Dans les années 1960, alors que les mouvements de décolonisation se multiplient sur le continent africain, les Chinois soutiennent les indépendantistes et tissent des liens diplomatiques avec les États désormais officiellement autonomes. En 1965, la Chine offre par exemple la construction d’une voie de chemin de fer entre la Zambie et la Tanzanie.
Alors, philanthropes, les Chinois ? Comme toutes les nations du monde, jamais totalement ! La Chine cherche avant tout des alliés à cette époque, et les nations africaines peuvent parfaitement remplir ce rôle. Ce qu’elles feront en 1971, alors que l’Assemblée générale des Nations Unies vote pour que Pékin, et non Taipei (la capitale de Taïwan), représente la Chine à l’ONU. C’est Pékin qui l’emporte avec le soutien de 26 États africains.
Ces manœuvres géopolitiques se poursuivent encore aujourd’hui : entre 1971 et 2018, les nations africaines reconnaissant officiellement Pékin comme la représentante de la Chine sont passées de 26 à 53. La plupart ont cédé face à la pression diplomatique (et financière !) de la Chine.
Bien sûr, ce type de pratiques n’est en rien une exclusivité chinoise : la France a fait de même pour éviter les sanctions vis-à-vis de la guerre en Algérie dans les années 1960.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Si le discours de coopération entre la Chine et l’Afrique face à l’Occident est resté le même, les relations ont bien changé…
La Chine, premier créancier de l’Afrique
Comme nous l’expliquions en introduction, la Chine est devenue au fil des ans le premier partenaire commercial de l’Afrique.
Le risque est alors, pour bon nombre d’États africains, d’être en situation de dépendance commerciale vis-à-vis de l’Empire du Milieu. Pour l’Angola, dont 40% des échanges commerciaux se font avec la Chine, le danger est évident…
Mais ces dernières années, ce ne sont pas seulement les échanges commerciaux, mais aussi les investissements énormes de la Chine vers le continent qui posent question : pourquoi un tel déversement d’argent ?
On le sait, la Chine a été « l’atelier du monde » durant toute la seconde moitié du XXème siècle et, même si le pays s’est largement développé dans des secteurs technologiques de pointe, elle le reste encore aujourd’hui (tout est made in China).
Elle dispose donc d’énormément d’argent car elle exporte ses produits dans le monde entier. Et depuis le début des années 2000, la Chine a déversé des milliards de dollars sur l’Afrique sous forme de prêts, devenant son principal créancier. Un chiffre plus que parlant : elle détenait seulement 3% de la dette de l’Afrique subsaharienne en 2000, contre 62% en 2020 !
Entre 2005 et 2017, c’est la somme folle de 137 milliards de dollars qui est prêtée au continent africain par la Chine.
Le but ? Financier d’énormes projets de construction d’infrastructures (chemins de fer, ports, métros…). C’est ainsi que le Kenya a pu par exemple financer la construction d’une grande voie de chemin de fer en 2017, pour 3,7 milliards de dollars.
Des centaines d’investissements de ce type ont été réalisés ces dernières années, et le phénomène est en expansion ! La conséquence logique est l’explosion de la dette de certains États africains… L’exemple du Mozambique est criant : en seulement 4 ans, de 2013 à 2017, le taux d’endettement du pays est passé de 51 à 102% du PIB.
Mais l’Afrique bénéficie aussi clairement de ces financements.
Pour les Africains, les énormes liquidités chinoises sont une aubaine, car leurs besoins en infrastructures sont énormes et, une fois financés, soutiennent le développement économique des pays.
La Chine est aussi le dernier gros créancier à prêter encore au continent : la Banque mondiale et les autres prêteurs occidentaux refusent la plupart du temps, soit parce que les situations politiques des pays les dérangent, soit par peur de ne jamais être remboursés.
De son côté, la Chine tire évidemment elle aussi profit de ces prêts gigantesques. Elle fournit non seulement des liquidités, mais aussi les services de ses entreprises de construction, et parfois même ses travailleurs. Elle place ainsi son argent en Afrique et touche des intérêts lors des remboursements. Mais c’est quand un État ne peut pas rembourser qu’elle s’en sort encore mieux…
Car après tout, que se passe-t-il si un pays africain ne peut plus rembourser son partenaire chinois ?
C’est là que l’on comprend tout l’intérêt des Chinois dans ces nombreux investissements, car si la Chine prête bel et bien, elle prête sous conditions.
En cas de non-remboursement, l’État africain endetté paie sous forme de matières premières (pétrole, minerais… Indispensables aux usines chinoises) ou carrément en infrastructures. La Chine peut prendre le contrôle de l’infrastructure financée pour 99 ans !
C’est comme ça que le Sri Lanka a perdu l’immense port construit en 2015 grâce aux milliards chinois. Il appartient désormais à la Chine pour le siècle à venir… On comprend facilement l’intérêt de la Chine dans de telles situations : elle ne perd pas du tout d’argent et prend le contrôle de zones stratégiques pour le commerce mondial.
Alors, pourquoi la Chine mise autant sur l’Afrique ? Comme toujours lorsque l’on se penche sur les relations complexes qui se nouent sur la scène internationale, tout n’est pas blanc ou noir. À en croire les dirigeants chinois et africains, les énormes investissements de Pékin sur le continent africain sont le fruit d’une coopération « gagnant-gagnant ». Mais, si l’Afrique profite bel et bien des financements chinois pour se doter en infrastructures essentielles à son développement, la dépendance économique et les dettes ainsi créées offrent aux Chinois le contrôle de zones stratégiques, sous couvert de coopération.